Acte
III, scène 5
Alcmène Jupiter
(Blason de Gif sur yvette) (Blason de saint-Vaury)
(...)
ALCMÈNE
Et
si je vous offrais mieux que l’amour? Vous pouvez goûter l’amour
avec d’autres. Mais je voudrais créer entre nous un lien plus doux
encore et plus puissant: seule de toutes les femmes je puis vous
l’offrir. Je vous l’offre.
JUPITER
Et
c’est ?
ALCMÈNE
L’amitié
!
JUPITER
Amitié!
quel est ce mot? Explique-toi.Pour la première fois, je l’entends.
ALCMÈNE
Vraiment!
Oh! alors je suis ravie! Je n’hésite plus! Je vous offre mon
amitié. Vous l’aurez vierge...
JUPITER
Qu’entends-tu
par là? C’est un mot courant sur la terre ?
ALCMÈNE
Le
mot est courant.
JUPITER
Amitié...
Il est vrai que, de si haut, certaines pratiques des hommes nous
échappent encore...
Je
t’écoute... Lorsque des êtres se cachent comme nous, à l’écart,
mais pour tirer des pièces d’or de vêtements en loques, les
compter, les embrasser, est-ce là l’amitié ?
ALCMÈNE
Non,
c’est l’avarice.
JUPITER
Ceux,
quand la lune est pleine, qui se mettent nus, le regard fixé sur
elle, passant les mains sur leur corps et se savonnant de son éclat,
ce sont là les amis?
ALCMÈNE
Non,
ce sont les lunatiques !
JUPITER
Parle
clairement! Et ceux qui dans une femme, au lieu de l’aimer
elle-même, se concentrent sur un de ses gants, une de ses
chaussures, la dérobent, et usent de baisers cette peau de bœuf ou
de chevreau, amis encore ?
ALCMÈNE
Non,
sadiques.
JUPITER
Alors,
décris-la moi, ton amitié. C’est une passion ?
ALCMÈNE
Folle.
JUPITER
Quel
est son sens ?
ALCMÈNE
Son
sens ? Tout le corps, moins un sens.
JUPITER
Nous
le lui rétablirons, par un miracle. Son objet ?
ALCMÈNE
Elle
accouple les créatures les plus dissemblables et les rend égales.
JUPITER
Je
crois maintenant comprendre! Parfois, de notre observatoire, nous
voyons les êtres s’isoler en groupes de deux, dont nous ne
percevons pas la raison, car rien ne semble devoir les accoler:un
ministre qui tous les jours rend visite à un jardinier, un lion dans
une cage qui exige un caniche, un marin et un professeur, un ocelot
et un sanglier. Et ils ont l’air en effet complètement égaux, et
ils avancent de front vers les ennuis quotidiens et vers la mort.
Nous en venions à penser ces êtres liés par quelque composition
secrète de leur corps.
ALCMÈNE
C’est
très possible. En tout cas, c’est l’amitié.
JUPITER
Je
vois encore cet ocelot. Il bondissait autour de son cher sanglier.
Puis, dans un olivier, il se cachait, et, quand le marcassin passait
grognant près des racines, se laissait tomber tout velours sur les
soies.
ALCMÈNE
Oui,
les ocelots sont d’excellents amis.
JUPITER
Le
ministre, lui, faisait dans une allée les cent pas avec le
jardinier. Il parlait des greffes, des limaces; le jardinier, des
interpellations, des impôts. Puis, chacun ayant dit son mot, ils
s’arrêtaient au terme de l’allée, le sillon de l’amitié sans
doute tracé jusqu’au bout, et se regardaient un moment bien en
face, clignant affectueusement l’œil et se lissant la barbe.
ALCMÈNE
Toujours,
les amis.
JUPITER
Et
que ferons-nous, si je deviens ton ami ?
ALCMÈNE
D’abord,
je penserai à vous, au lieu de croire en vous... Et cette pensée
sera volontaire, due à mon cœur, tandis que ma croyance était une
habitude, due à mes aïeux... Mes prières ne seront plus des
prières, mais des paroles. Mes gestes rituels, des signes.
JUPITER
Cela
ne t’occupera pas trop ?
ALCMÈNE
Oh!
non. L’amitié du dieu des dieux, la camaraderie d’un être qui
peut tout, tout détruire et tout créer, c’est même le minimum de
l’amitié pour une femme. Aussi les femmes n’ont-elles point
d’amis.
JUPITER
Et
moi, que ferai-je
ALCMÈNE
Les
jours où la compagnie des hommes m’aurait excédée, je vous
verrais apparaître, silencieux; vous vous assiériez, très calme,
sur le pied de mon divan, sans caresser nerveusement la griffe ou la
queue des peaux de léopard, car alors ce serait de l’amour, – et
soudain vous disparaîtriez... Vous auriez été là! Vous comprenez
?
(...)
Amphitryon,
Jean Giraudoux (1882-1944)
______
D’azur à la tête de femme d’argent couronnée d’or, accompagnée de trois fleurs de lys du même. (Blason de Gif-sur-Yvette)
D'azur à un buste de sable, vêtu et diadémé d'or, accompagné de trois fleurs de lys du même posées 2 et 1 (Blason de Saint-Vaury)